Alice Schwarzer in anderen Medien

Alice en France

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Le Point Vous avez, le 12 décembre 1976, passé une longue soirée à interviewer Romy Schneider pour votre magazine EMMA. Comment s'est passée cette nuit?
Alice Schwarzer Romy était ce soir-là très agitée. Elle tournait depuis plusieurs semaines à Berlin. Et en plus, Cologne était pour elle marquée par des souvenirs oppressants liés à ses années Sissi. À Berlin, les journalistes des tabloïds la suivaient du matin au soir et allaient jusqu'à fouiller les poubelles pour savoir combien de bouteilles de vin elle buvait. La presse allemande n'a jamais pardonné à Romy le fait d'avoir quitté le pays pour la France. Pour beaucoup d'Allemands, et en particulier les hommes, elle était une traîtresse, comme Marlene Dietrich.

Quel message voulait-elle faire passer?
Nous avons parlé jusqu'à 3 heures du matin. Elle voulait qu'on la perçoive pour ce qu'elle était réellement : une actrice sérieuse et un être humain sensible et intelligent, et non pas la vierge Sissi ou la traînée française. En tant que féministe, j'étais censée la défendre et faire comprendre aux Allemands qui était vraiment Romy Schneider.

Ses parents, comme vous le rappelez, étaient plus que des sympathisants nazis. Elle vous a même confié que sa mère avait peut-être eu une relation avec Hitler... 
Oui, ses deux parents acteurs étaient très proches des nazis. Sa mère avait même fait construire une maison – où Romy a passé son enfance avec les grands-parents – à quelques kilomètres de la résidence d'Hitler à Berchtesgaden. La carrière à l'UFA (grande société de production cinématographique, NDLR) de Magda Schneider a grandement profité de l'intérêt que lui portait Hitler. Je ne pense pas que ce soit allé jusqu'à une liaison. Mais quand, une fois en France, Romy a pris conscience des crimes de l'Allemagne nazie, elle a voulu réparer cela. Dans ces dernières années, elle a joué des victimes du nazisme et des juives, avec un fervent engagement.

Elle vous a aussi confié avoir été agressée sexuellement quand elle était jeune à Berchtesgaden, puis avoir eu un rapport compliqué avec son beau-père Hans Blatzheim...
Rapport compliqué ? C'est bien gentil. Je reproduis les propos qu'elle m'a tenus ce soir-là : « Il a voulu coucher avec moi ! Et pas qu'une seule fois. » Elle disait ça en français. Ce beau-père lui a tellement couru après quand elle avait 15-16 ans qu'elle devait parfois s'enfermer dans les toilettes pour se protéger. Où était d'ailleurs la mère ? Magda n'a non seulement pas protégé sa fille, mais elle l'a livrée à un homme qui avait monté un empire gastronomique et vendait Romy comme un produit.

En quoi la vie de Romy Schneider s'inscrit-elle dans l'histoire allemande?
C'est un destin typiquement allemand. Elle était « la jeune fille innocente » dans les années 1950. Durant cette décennie, les hommes allemands, après la chute de leur idole Hitler, après la Shoah, ne pouvaient pas vraiment être fiers d'eux. Et ils étaient à peine à la hauteur de leurs femmes qui, en leur absence, les avaient remplacés. C'est alors qu'arrive à point nommé une jeune fille naïve que tous les « daddys » de la terre peuvent éduquer. Ajoutez à cela que Blatzheim, son beau-père et manager, est un homme très connu à l'époque pour être le représentant du « miracle économique allemand ». Mais Romy a vite vu clair. Elle ne voulait déjà plus tourner la suite de Sissiet a fui en France.

Quel était son rapport aux hommes ? Tous semblent l'avoir utilisée...
Romy n'était pas une victime. Elle a souvent été blessée, et avait de profonds doutes, comme beaucoup de femmes, mais en même temps, elle était forte et fière. Petite fille, alors que ses grands-parents l'ont laissée grandir librement dans les montagnes, elle était un garçon manqué, avant de devenir une star à l'âge de 15 ans. Les hommes l'ont utilisée, notamment sur le plan économique. Mais elle s'est aussi servie des hommes. Elle était un être absolu, attendant un amour 24 heures sur 24. C'est pour cela qu'elle s'est si souvent trompée dans le choix des hommes, voulant à tout prix être aimée, peu importe par qui.

Elle n'était pas franchement une féministe. « Une femme doit rester une femme. Par amour, je me soumettrai, je me plierai aux exigences de l'homme, à condition que cela ne dégénère pas en tyrannie », a-t-elle expliqué...
Comme beaucoup de femmes de sa génération, Romy était les deux : une « vraie femme » – quoi que ce terme veuille dire au demeurant –, et une femme révoltée. Quand nous nous sommes rencontrées, dans les années 1970, la révolte des femmes connaissait son acmé. Ce n'est pas un hasard si elle s'est adressée à moi pour faire passer un message au public allemand. « Nous sommes les deux femmes d'Allemagne les plus insultées », m'a-t-elle dit.

Pourquoi la lettre d'adieu d'Alain Delon à sa « Puppelé » vous a-t-elle scandalisée?
Il faut déjà se souvenir que cette lettre ouverte parue dans Paris Matchen 1982 n'a même pas été écrite par lui, mais par Jean Cau. Cette lettre relève non seulement du plus pur kitch, mais du culot le plus éhonté. « J'ai fait de toi une star française », affirme Delon, alors que, quand elle est venue à Paris, Romy était une star mondiale, et Delon rien. À ce moment, elle a sacrifié sa carrière pour lui. Plus loin dans la lettre : « Non, non, non, non, ce métier terrible n'est pas un métier de femme. Je le sais parce que l'homme que je suis est celui qui t'a le mieux connue. » La vérité : Delon est un acteur avec une grande présence physique, mais Romy était une grande actrice tout court. Une actrice de la quatrième génération, avec un talent génial et une discipline de travail d'un soldat prussien. Toute sa vie, Romy a eu une passion pour son métier. Et c'était d'ailleurs là le problème. Car cela était difficilement compatible avec son autre passion, l'amour – ou ce qu'elle pensait être l'amour.

Les médias français se sont focalisés sur une révélation de votre livre : sa bisexualité et une relation avec Simone Signoret. Que vous a-t-elle dit exactement?
Romy m'a dit, en passant, qu'elle avait aussi eu des histoires amoureuses avec des femmes, parmi lesquelles Simone Signoret. Même si les hommes dans sa vie avaient la priorité. De ce point de vue aussi, elle était une femme moderne : elle s'est accordé la liberté d'aimer qui elle voulait, indépendamment du genre biologique.

Das Buch "Romy Schneider intime" erscheint bei Éditions Archipel.
Das Buch von Alice Schwarzer "Romy Schneider intime" erscheint bei Éditions Archipel.

Comment les Allemands la perçoivent-ils aujourd'hui?
Chez nous aussi, elle est toujours célèbre. Mais aux yeux de beaucoup d'Allemands, elle reste toujours l'innocente Sissi ou la traîtresse scandaleuse. En France, votre regard est différent : vous estimez la grande actrice qu'elle a été, mais aussi l'idole mélancolique et si allemande dont on aimerait bien percer les mystères.

Avez-vous eu eu un échange avec sa fille Sarah?
Je lui ai écrit. Mais je n'ai pas eu réponse. J'aimerais bien lui dire qu'elle peut être fière de sa mère. Même s'il lui est arrivé de boire de trop à la fin de son existence et d'abuser des psychotropes pour se maintenir en vie. Romy était vraiment une battante, et une très grande actrice.

Das Gespräch führte der Le Point-Ressortleiter Thomas Mahler.

Der Dokumentarfilm von Patrick Jeudy mit Alice Schwarzer "Conversation avec Romy" - hier anschauen.

 

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L’Allemande tout feu tout femmes

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Cette femme est un lobby à elle seule. Sans mandat électif, presque sans argent, à la tête d’une minuscule équipe, Alice Schwarzer parvient régulièrement à imposer ses idées au coeur du débat public allemand. Depuis plus de quarante ans, elle est la porte-parole autoproclamée du mouvement féministe allemand. Son dernier coup d’éclat ? La remise en cause de la législation libérale qui, en Allemagne, réglemente la prostitution. Un courriel envoyé début octobre lui a suffi pour recueillir en quelques jours plusieurs dizaines de signatures de personnalités demandant l’encadrement « à court terme » puis l’interdiction « à long terme » de la prostitution en Allemagne. Parmi les signataires, des artistes, des intellectuels et des responsables politiques de la CDU (l’Union chrétiennedémocrate) mais aussi du SPD (Parti social-démocrate).

Cet appel consiste pourtant à prendre l’exact contre-pied de la loi votée en 2002 par les Verts et les sociauxdémocrates banalisant le sexe tarifé. En un mois, plus de 3 000 personnes ont répondu à l’appel. Alice Schwarzer a publié un livre dans la foulée, Prostitution, ein Deutscher skandal (« Prostitution, un scandale allemand »), organisé une grande soirée–débat à Berlin le 14 novembre. Voilà les partis politiques obligés de se positionner. Résultat : la prostitution ne sera pas interdite mais vraisemblablement davantage réglementée.

Alice Schwarzer, aujourd’hui 70 ans, a fait ses armes en France dans les années 1960 et 1970 où elle a participé à la création du MLF (Mouvement de libération des femmes). En 1971, s’inspirant du manifeste dit des « 343 salopes », ces Françaises ayant reconnu dans le Nouvel Observateur avoir avorté et réclamant le droit à la contraception, elle fait paraître deux mois plus tard dans le magazine Stern un manifeste comparable signé par 374 Allemandes. La publication en 1975 de La Petite Différence et ses grandes conséquences – un livre sur le pouvoir qu’exercent, selon elle, les hommes sur les femmes grâce à l’hétérosexualité – puis le lancement du magazine Emma en 1977 achèvent d’asseoir son emprise intellectuelle.

evidemment, sa célébrité et sa radicalité ne lui valent pas que des amis. Dès les années 1980, elle se met à dos les Verts en critiquant – avec une rare clairvoyance – l’influence de réseaux pédophiles au sein de cette mouvance libertaire. Défenseure infatigable des droits des homosexuels, elle est la première à refuser tout parallèle avec la pédophilie. Pour Alice Schwarzer, la pédophilie n’est pas une forme de relation sexuelle comme les autres, contrairement à ce que prétendent certains soixante-huitards. Vingt ans plus tard, elle s’oppose de nouveau aux Verts quand, au nom de la liberté, ils entendent banaliser la prostitution.

Politiquement, Alice Schwarzer est inclassable. Relativement proche d’Angela Merkel mais extrêmement critique à l’égard de la jeune ministre de la famille Kristina Schröder, elle aura été l’une des rares à s’inquiéter dès le début du « printemps arabe » du sort des femmes dans les révolutions en cours. Son influence en énerve plus d’un(e). Dans un essai paru en 2012, Alice au pays de personne, l’historienne Miriam Gebhardt explique « comment le mouvement féministe allemand a perdu les femmes ». Pour elle, Alice Schwarzer est peut-être la digne héritière de Simone de Beauvoir, dont elle fut proche lors de ses années françaises, mais elle passe à côté des problèmes actuels de la femme allemande. De fait, contrairement à ce que pourraient laisser penser la présence d’une femme à la chancellerie et l’omniprésence d’Alice Schwarzer dans les médias, la situation des Allemandes dans la société n’est pas particulièrement enviable. Il leur est notamment toujours aussi difficile de concilier vie familiale et vie professionnelle et, lorsqu’elles travaillent, leur rémunération est en moyenne inférieure de 22 % à celle de leurs collègues masculins. Un constat qui incite Alice Schwarzer à considérer que sa mission demeure indispensable.

La Magazine du Monde

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